09/11/2015 | RÉFLEXIONS – Lors d’un précédent synode en 1974, deux religieuses avaient été invitées. Quarante ans plus tard, ces dernières semaines, elles étaient trois parmi les trente-deux auditrices présentes au Vatican pour discuter de la famille. Entre frustration et sentiment de ne pas exister, les femmes déplorent une assemblée d’hommes faisant très peu de cas de leur voix.
Lucetta Scaraffia est en colère. Invitée au synode sur la famille en tant qu’ « auditrice », cette journaliste du quotidien officiel du Vatican L’Osservatore Romano s’est sentie très peu écoutée durant les trois semaines de débat, dans un monde résolument masculin. Son message n’ayant pas été pris au sérieux, elle a choisi de crier son amertume dans une tribune publiée en Une du Monde, le 28 octobre dernier. Cette ancienne féministe y dénonce la « parfaite ignorance de la gent féminine » chez les évêques et cardinaux réunis au Vatican, du 4 au 25 octobre, pour discuter de la famille. Pendant les discussions en assemblée, elle n’a pas eu le droit d’intervenir, si ce n’est à la fin, et encore moins de voter, comme ce fut le cas pour les autres auditeurs. Elle n’a pas non plus eu le droit de proposer des modifications au texte soumis au débat. « Bref, explique-t-elle, tout contribuait à ce que je me sente inexistante. »
La discussion des participants au synode a beaucoup porté sur « l’indissolubilité du mariage » et donc l’impossibilité, pour les catholiques, de se remarier. Mais lorsque Lucetta Scaraffia tente d’expliquer à l’assemblée que les femmes, souvent abandonnées par leur mari, sont les premières pénalisées dans cette situation, la journaliste a la sensation de « parler dans le vide ». À ses côtés, d’autres femmes participant au synode – toujours et seulement comme auditrices – ont tenté de se faire entendre. Comme cette jeune religieuse qui explique à Lucetta avoir découvert, lors d’un échange avec le pape, que les quatre lettres envoyées par son association, réclamant plus de place pour les religieuses, ne sont jamais parvenues au chef de l’Église catholique.
Au cœur du synode, la sœur américaine Maureen Kelleher, religieuse du Sacré-Cœur de Marie et membre de l’Union internationale des supérieurs généraux, prend la parole. En 1974, lors d’un précédent synode, relève-t-elle, seules deux religieuses avaient été invitées à participer. « Aujourd’hui, 40 ans plus tard, nous sommes trois. » Avec courage, la religieuse américaine adresse un vigoureux appel aux leaders de l’Église pour qu’ils reconnaissent « combien de nombreuses femmes qui se sentent appelées à être au service du Royaume de Dieu ne peuvent trouver leur place dans notre Église ». « Aussi douées soient-elles, soupire-t-elle, elles ne peuvent apporter leurs talents à la table des prises de décision et des planifications pastorales».
La force des femmes face à Boko Haram
Deux autres auditrices, catholiques engagées, ne se sont pas non plus laissées intimidées. Agnes Offiong Erogunaye est présidente de la Catholic Women Organization of Nigeria. Devant l’assemblée d’hommes, elle témoigne de la force des femmes nigérianes face à la secte Boko Haram : « L’insurrection de Boko Haram au Nigeria a montré la force et le rôle d’une femme et d’une mère déterminée à garder sa famille réunie face à l’impuissance et à la calamité. Dans ces moments de détresse, elle travaille dur pour que sa famille survive. » Elle poursuit : « De mon expérience avec les femmes dans ces moments difficiles, je peux dire avec audace que, bien que l’homme soit le chef de famille, la femme est cependant le cœur de la famille, et quand le cœur cesse de battre, la famille meurt (…). La plupart des femmes africaines sont connues pour prendre soin de leur famille, avec ou sans la contribution de leurs époux ! »
L’Australienne Maria Harries, elle, invite à respecter, voire à s’inspirer de la culture des peuples aborigènes de son pays. Dans des systèmes souvent « matrilinéaires », explique-t-elle, les femmes jouent « un rôle dynamique », et sont habituées à « être visibles ». Pour appuyer son propos, elle va jusqu’à citer un chef aborigène : « Sans femmes visibles à l’autel et dans la vie de notre Eglise, nous mettons hors de vue nos mères, nos sœurs et nos filles ! »
Entendre la voix des femmes
« Je pense que le synode gagnerait vraiment à entendre la voix des femmes, a pour sa part estimé sœur Carmen Sammut, présidente de l’Union internationale des supérieures générales dans le quotidien La Croix, à l’issue du synode. Elles sont expertes en plusieurs domaines, très proches de la vie de ceux et celles qui souffrent, aux marges. » Elle avoue que le synode fut « une épreuve », car « il y avait si peu de femmes » que « l’universalité était en soit limitée ». « Forcément, dans cette rencontre, la voix de trois religieuses n’avait pas beaucoup de poids. Comme nos interventions sont arrivées en fin de deuxième semaine, certaines étaient devenues caduques. C’était assez frustrant. »
« J’ai vécu des moments de désolation quand j’ai pensé que tout était bloqué, confie encore la religieuse, et que rien de neuf n’allait apparaître dans le résultat final. » Cependant, quand elle découvre le rapport final, elle est plutôt satisfaite : « Il reconnaît que leur participation au sein de l’Église dans les processus de décision, dans la gouvernance de certaines institutions et dans la formation des prêtres, peut contribuer à une meilleure reconnaissance sociale des femmes. Nous attendons maintenant que ces déclarations soient mises en pratiques. »
Nommer plus de femmes à la curie romaine
N’y a-t-il donc eu aucun homme pour défendre la cause des femmes durant l’assemblée des évêques ? Si, au moins un ! Dans une intervention courageuse, l’évêque canadien Mgr Paul-André Durocher a demandé à l’Église d’affirmer « que les passages où saint Paul parle de la soumission de la femme à son mari ne peuvent pas justifier la domination de l’homme sur la femme, encore moins la violence à son égard ». Il a ensuite proposé la possibilité de « nommer des femmes aux postes qu’elles pourraient occuper dans la curie romaine et dans les curies diocésaines », afin de « reconnaître l’égale capacité des femmes d’assumer des postes décisionnels dans l’Église ». Pour l’instant, les femmes sont très rares à occuper des postes à responsabilité dans la curie romaine. Aucune n’est à la tête d’un dicastère (sorte de ministère). L’évêque canadien est même allé plus loin, en proposant l’accès des femmes au diaconat. Il confie cependant que cette suggestion a suscité « peu d’échos » dans la suite des débats. Sans doute faudra-t-il attendre un prochain synode pour que les femmes réussissent, cette fois, à faire entendre leur voix.
Source: lemondedesreligions.fr, 3/11/2015